Alors que les sénateurs écologistes comptent bien remettre sur la table le projet de taxe nutella abandonné l’année dernière, Tancrède Voituriez, économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), estime que ses chances d’aboutir sont minces… Voire inexistantes.
En France, six groupes agroalimentaires ont conclu une « alliance » visant à assurer l’importation en France d’huile de palme produite de façon « durable ». De leur côté, les sénateurs français du groupe écologiste ont l’intention de défendre à nouveau le projet de « taxe Nutella », que l’on croyait enterré en 2012. Le projet de « taxe Nutella » verra-t-il prochainement le jour, cette fois pour des motifs environnementaux ?
Pour répondre à cette question, il faut d’abord lever l’ambiguïté qui entoure le mot « taxe ». Les palmiers à huile ne poussant pas sous nos latitudes, la totalité de l’huile de palme consommée en France et en Europe est importée. L’éventuelle taxe devrait donc être appliquée aux frontières. Il n’échappe à personne que les taxes aux frontières relèvent des compétences de l’Union européenne (UE) et ne peuvent être individualisées par pays membre de l’UE. Il n’y a plus de droit de douane français mais des droits de douane européens : les seuls ajustements aux frontières laissés à la liberté des Etats membres de l’UE sont les ajustements des taxes domestiques comme la TVA, dont le niveau diffère selon les pays.
On se souviendra ici que Villepin puis Sarkozy (avec l’approbation de la plupart des écologistes) avaient pensé à de tels ajustements pour la mise en place d’une taxe carbone française. Mais même en suivant cette analogie, quelle forme exacte pourrait prendre une « taxe Nutella » domestique que l’on ajusterait aux frontières? Si une telle taxe ne s’applique qu’à l’huile de palme, ce n’est plus une taxe domestique puisque toute l’huile de palme est importée… La taxe est donc un droit de douane. La question qui se pose alors est celle de son application aux frontières de l’Europe à des niveaux supérieurs aux niveaux actuels, pour des motifs environnementaux. L’huile de palme « ordinaire » serait lourdement taxée, tandis que l’huile de palme « durable » le serait moins – ou ne le serait pas du tout. Est-ce possible ?
Restriction européenne ?
Pareille éventualité est improbable, pour au moins deux raisons. La première est que l’huile de palme « durable » n’est « durable » qu’en vertu de certifications et autres labels, lesquels relèvent d’initiatives volontaires et privées. Achète et vend de l’huile de palme certifiée « durable » (pour faire court) qui veut. C’est exactement ce qui se passe en matière de commerce équitable. Pour autant un pays peut-il rendre obligatoire cette certification privée ? Non, parce que précisément celle-ci est volontaire et privée.
L’alternative pour la France et l’Europe serait d’interdire l’importation d’huile de palme “traditionnelle” (et mécaniquement généraliser l’importation d’huile de palme certifiée « durable ») en se protégeant derrière l’article XX du Gatt dit des « exceptions générales ». Et en particulier l’alinéa b) qui justifie les restrictions aux importations pour des motifs de « protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou la préservation des végétaux ». Ces restrictions aux importations doivent être appliquées sans discrimination ; il faut aussi en démontrer la nécessité pour l’objectif de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou la préservation des végétaux, reconnu comme parfaitement légitime par l’OMC. Or la non-discrimination est illusoire, à moins d’interdire toutes les importations d’huile végétales qui selon différents procédés sont peu ou prou substituables entre elles. Et la nécessité est tout aussi difficile à établir, les interdictions européennes d’importation d’huile de palme ne réglant pas les problèmes cardio-vasculaires de nos concitoyens et encore moins les problèmes respiratoires des Singapouriens envahis par les fumées des feux de plantation indonésiens.
Une mesure discriminatoire
Pourquoi alors une telle insistance à désigner l’huile de palme comme un poison sanitaire et une calamité environnementale ? Il y a dans les débats autour de la « taxe Nutella » beaucoup d’ardeur politique à flatter l’opinion, convaincue que l’huile de palme est dangereuse pour la santé et l’environnement, contre l’avis de la plupart des industriels européens qui l’importent massivement depuis plus de cinquante ans. On se souviendra peut-être que dans les années 1980 et 1990, l’American Soybean Association était déjà très virulente et finançait quantité de recherches pour démontrer les effets cancérigènes de l’huile de palme – pour la raison essentielle que la Malaisie et l’Indonésie venaient de ravir à l’huile de soja la première place sur les marchés mondiaux. La part croissante prise depuis par l’huile de palme dans les procédés industriels de l’agroalimentaire suscite toujours autant de convoitise et de jalousie.
Isoler l’huile de palme comme un problème sanitaire particulier reste spécieux et paresseux tant que ce problème n’est pas inclus dans celui, plus large, d’un régime alimentaire trop riche en graisses, quelles qu’elles soient. Les problèmes environnementaux sont certes plus spécifiques à l’huile de palme, qui détruit sans doute davantage de biodiversité et crée plus de pollution atmosphérique que n’importe quel autre oléagineux. Mais, là encore, ces problèmes ne se règlent pas par l’injonction d’une « taxe » française qui, même étendue aux frontières européennes par un tour de force diplomatique, présente tous les risques d’être discriminatoire et disproportionnée au regard de ses maigres effets environnementaux recherchés.
La tribune, Tancrède Voituriez