Après les sénateurs, les députés s’apprêtent à adopter une taxation supplémentaire de l’huile de palme, accusée de favoriser la déforestation en Asie du Sud-Est et de nuire à la santé. Une mesure contre-productive, selon Alain Rival, chercheur au Cirad.
Basé à Djakarta, Alain Rival est le directeur régional du Cirad, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (http://www.cirad.fr/) qui conteste les arguments soutenant la taxation de l’huile de palme à 90 euros par tonne, une mesure qui pourrait se révéler contraire au but recherché. Voici pourquoi.
Sciences et Avenir : Quelle peut être la portée d’un tel amendement voté en France ?
Alain Rival : Minimale. La France pèse très peu sur le marché global. Toutefois, la mise à l’index de l’huile de palme par la France aura une portée bien supérieure à sa part de marché réelle. Sa réputation de nation du « bien-manger » et le risque de contagion aux autres pays européens inquiète les pays producteurs. La France importe en effet 150 000 tonnes par an sur une production mondiale de 62 millions de tonnes. Cette décision viendra sans doute compromettre les relations de la France avec des pays exportateurs (Malaisie, Indonésie, Côte d’Ivoire) qui sont aussi des partenaires commerciaux et ne manqueront pas de le faire savoir.
Vous affirmez que les auteurs de cette mesure méconnaissent la réalité des pays en voie de développement…
Plusieurs réalités de la filière ont échappé aux rédacteurs de l’amendement. Ainsi, près de la moitié de la production mondiale vient de petits planteurs, que l’on veut naïvement préserver de la taxation mais qui y seront mécaniquement soumis. L’article de loi exonère de la taxe la production d’huile de palme certifiée durable (c’est-à- dire respectueuse de l’environnement et des hommes) qui représente actuellement 21 % des volumes mondiaux. Très peu de petits producteurs étant certifiés durables, ils seront encore plus victime de la taxe que l’agroindustrie. Car la difficulté avec les petits planteurs réside dans leur hétérogénéité et parfois leur manque d’organisation sociale. Il est souvent plus difficile de les convaincre de l’intérêt de pratiques agronomiques plus durables que les gros producteurs agro-industriels. Les gains de productivité potentiels chez les petits planteurs sont considérables mais ils demandent un effort soutenu d’encadrement pour les amener à la certification.
Cette taxe peut-elle être efficace pour réduire la consommation de corps gras chez les Français ?
La part de l’huile de palme dans la consommation de corps gras des Français est infime mais on prend moins de risque politique à s’attaquer à une filière tropicale, éloignée, mal connue et impopulaire, qu’à des
producteurs métropolitains bien organisés et plus prompts à réagir et à faire pression sur les pouvoirs publics…. En France, supprimer le kilo d’huile de palme consommée annuellement par les inconditionnels de la pâte à tartiner ou des plats préparés sans toucher aux 60 kg de corps gras apportés par la charcuterie et les produits laitiers n’aura vraisemblablement aucun impact sur la santé publique.
Quels peuvent être les effets pervers de la taxation de ce produit ?
L’huile de palme exclue du marché français par la surtaxation se trouvera directement absorbée par le marché mondial, dominé par la Chine et l’Inde qui ne sont pas demandeurs — pour l’instant — d’huile certifiée. Ainsi, en décourageant un marché d’acheteurs critiques et informés, donc susceptibles de tirer la filière vers le haut, on se retrouve à alimenter le marché de l’huile non certifiée. Le contraire exact d’une mesure censée protéger l’environnement et les hommes.
La consommation de l’huile de palme dans le monde va-t-elle continuer de progresser ?
Oui. La plante présente de très loin les plus hauts rendements en huile et elle est depuis longtemps la moins chère du marché. La demande est portée par la croissance démographique et l’élévation du niveau de vie des grands pays émergents, qui peut se tasser mais ne va pas diminuer. Car les populations des pays en voie de développement sont toujours en déficit de lipides. La consommation de graisses est de 33 kilos par an et par personne en Chine, de 18 kilos en Inde et en Indonésie, contre 60 en France.
La plante est-elle si importante pour le développement des pays du Sud ?
C’est la seule culture tropicale à assurer un revenu à l’hectare élevé et soutenu depuis plusieurs décennies. La seule à pouvoir engendrer une classe moyenne rurale en une génération sous les tropiques.
Quelles sont les bons moyens pour inciter les gouvernements des pays concernés à limiter l’expansion de la culture, et épargner les forêts ?
La déforestation est un réel problème qui demande une vigilance constante et un engagement politique fort. La biologie du palmier à huile strictement tropicale le contraint à cohabiter avec les derniers points chauds de la biodiversité de la planète. Cependant le lien entre déforestation et l’huile de palme n’est pas direct. Les concessions d’exploitation sont d’abord accordées aux compagnies forestières qui vont exploiter tout ou partie du bois disponible. Ensuite, peut intervenir la mise en culture qui est loin d’être systématique. En Indonésie, 21 millions d’hectares de forêts ont disparu entre 1990 et 2005. Trois millions d’hectares de palmeraies ont été plantés dans le même temps. L a transition vers une production durable passe par un premier travail de relevé cadastral précis du paysage, qui décrive non seulement les limites de propriété, mais aussi la nature du couvertvégétal : forêts, savanes, cultures… Ensuite, l’intensification écologique consiste à améliorer les rendements à l’hectare dans les zones appropriées pour pouvoir faire face à la demande sans étendre les plantations sur les zones forestières. Le Cirad promeut ainsi l’emploi de semences sélectionnées, l’utilisation raisonnée des engrais, l’incorporation de compost et le recyclage des effluents par compostage ou par génération de biogaz.
La loi « biodiversité » à l’Assemblée Ce texte réorganise la politique de la nature en France.
(https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPreparation.do? idDocument=JORFDOLE000028780525&type=general&typeLoi=proj&legislature=14)Il pose le principe général de solidarité écologique, toute décision publique devant prendre en compte la protection des habitats et des écosystèmes. Une Agence de la biodiversité est créée regroupant les services de l’Onema, des aires marines protégées et des parcs nationaux. Le protocole de Nagoya sur le partage des avantages tirés de l’exploitation de molécules naturelles est transcrit en droit français.
Science et avenir, Loïc Chauveau